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Une vision forte, sereine et responsable #Covid-19

Stéphane Kaiser
Posté le 08.04.2020
Actualité CEP

Cette crise sans précédent met en exergue certaines réalités mises en cause parfois par la gauche, parfois par la droite, mais qui sont des évidences.

D’abord, elle démontre la nécessité d’avoir un état fort, qui a des moyens, avec un système d’impôts juste, qui ne doit pas être là pour satisfaire la droite ou la gauche. Notre pays doit reposer sur un système qui ne permet pas de montages ni de tricheries comme celui des GAFA qui gouvernent le monde.

Cette crise permet également de mettre en lumière certaines anomalies et situations inadmissibles dans la rémunération de plusieurs métiers, qui sont des piliers essentiels du fonctionnement de notre société : les soins, la vente, les nettoyages ne sont que quelques exemples. J’espère qu’ils ne seront pas oubliés une fois le vaccin miracle sur le marché.

Elle doit aussi nous permettre de nous poser les bonnes questions sur les durées et les types de formation nécessaires. Aujourd’hui, par exemple, la durée de formation d’un-e infirmier-ère n’est plus très loin de celle d’un-e médecin, mais avec au bout du compte des salaires qui n’ont aucune valeur commune. La profession est pénible, souvent désertée et la dépendance à nos pays frontaliers notre seul remède.

Nous devons décider si nous voulons continuer à mettre des numerus clausus pour certaines formations essentielles (la médecine entre autres) ou si nous acceptons qu’il y ait des métiers dont nous devons avoir la maîtrise dans notre pays, ceci quel qu’en soit le coût. Ce n’est pas dans ces domaines que les économies doivent être faites. Nous voulons une médecine de pointe, un système de soins efficace : cela a un prix. Peut-être son financement doit-il être revu en profondeur. Il s’agit de mettre les milliards aux bons endroits.

Aujourd’hui, même les grandes entreprises chavirent et ont peur pour leur futur. Quand BMW fait clairement savoir que cette crise pourrait avoir raison de la marque, c’est inquiétant. Ne devons-nous pas nous poser la question de savoir pourquoi de tels géants n’ont pas les réserves nécessaires pour assumer ce genre de crise ? Par souci de rendement à court terme ou pour satisfaire des actionnaires gourmands ? Si tel est le cas, cette voie est rudement mise à mal.

Nous pouvons nous poser les mêmes questions au sujet de l’aviation. En 1989, j’ai pris des billets d’avion aller-retour pour l’Australie avec quelques escales en Asie. C’était il y a 30 ans. Cela m’a coûté plus du double de ce que cela me coûterait aujourd’hui. Ce n’est clairement pas normal. La concurrence effrénée, des prix totalement hors réalité et hors contexte poussent les compagnies à faire des économies drastiques. Et surtout elles n’ont plus de réserves. Si les prix avaient suivi le coût de la vie, le monde de l’aviation aurait probablement des réserves financières, et le métier d’hôtesse ferait encore rêver plus qu’il ne le fait aujourd’hui avec ses salaires de misère.

Les voyages sont source de culture. Je serais bien mal placé pour faire des remarques à ce propos. Mais nous pouvons aussi repenser nos modèles de voyages. Les croisières polluantes, le tourisme de masse, les villes et sites touristiques pris d’assaut, parfois au point de faire fuir leurs propres populations, tout cela n’a plus de sens. Le voyage doit redevenir un rêve, quelque chose de réfléchi. Peut-être moins souvent et plus longtemps. A des prix qui sont en rapport avec les réalités économiques des pays et des gens qui y vivent, des salaires et du coût de la vie. Le voyage doit rester un voyage et non un dépaysement express au rabais. Voler dans une ville européenne pour Frs. 30.00 ? Ce n’est pas normal. Le low-cost a ses limites. Je pense que tout le monde constate qu’aujourd’hui elles sont atteintes car il y a trop de perdants.

Cette crise nous fera-t-elle prendre conscience des limites de la mondialisation ? Les échanges de matières premières et de produits finis ont du sens. La fabrication d’objets, de biens alimentaires ou autres qui transitent par plusieurs pays pour arriver à un objet fini n’a aucun sens. Elle est le témoin de pratiques absurdes et de la dangerosité de la dépendance. Finalement, quand un pays ou un continent ne maîtrise plus la fabrication de ses médicaments ou de ses produits de première nécessité, des molécules de base et autres denrées vitales, c’est carrément du suicide. Je trouve inadmissible d’en être arrivés là, l’Etat doit intervenir et remettre de l’ordre.

Cette crise nous fera-t-elle comprendre que nos défis climatiques sont intimement liés aux défis sanitaires ? Qu’aucune logique ne permet de soutenir, sous prétexte d’échange commerciaux, l’importation de steaks de cheval d’Amérique latine ou d’huile de palme, source de déforestation en Indonésie et en Malaisie ? Si l’on apprend à consommer local, à manger des fraises à la saison des fraises, des choux à la saison des choux et de la viande produite dans le respect des animaux, ceci en quantité raisonnable, nous aurons déjà fait un grand pas.

Les déséquilibres de la nature sont nettement plus forts que l’humain, nettement plus forts qu’un virus. Et les virus proviennent aussi de déséquilibres naturels.  Il est temps de nous soucier de la perte d’habitat d’espèces animales, du non-respect de la vie par l’être humain. Ces jours encore, la Chine a confirmé la reprise des élevages d’ours dans des cages minuscules pour leur extirper de la bile en continu avec un cathéter. Jusqu’où irons-nous sous le couvert des médecines et croyances ancestrales ? Va-t-on encore longtemps cautionner un état qui n’a aucun respect pour la valeur des humains et la dignité animale ?

Cette crise sera-t-elle définitivement une prise de conscience réelle et un bonus pour l’écologie ? Je l’espère. Mais j’ai de la peine à y croire.

Cette situation difficile nous conduira-t-elle au repli et au nationalisme ? Attention, la tentation est forte et l’Europe est en danger. Elle l’était déjà avec le Brexit ou avec le nationalisme montant dans certains pays comme la Hongrie. La cohésion d’un continent qui n’a plus eu de conflit depuis 1945, ce qui est presque un record, doit impérativement être sauvée. C’est une chance pour l’Europe de rester forte. Cela ne lui coûtera pas plus cher de se rendre moins dépendante de l’autre bout de la planète que d’injecter des centaines de milliards comme aujourd’hui pour sauver son économie. L’Europe doit revoir son fonctionnement et apprendre à parler d’une même voix. En étant solidaire pour l’essentiel : le climat, les énergies, la protection de ses populations les plus fragiles, l’avenir des jeunes générations, de la nature et des espèces animales.

Cette crise me pousse à l’admiration de la résilience de nos concitoyens et de l’engagement incroyable de tous ces acteurs souvent oubliés ou inconsidérés. Nous pouvons aussi être fiers de l’efficacité de notre Confédération et des cantons. Cette crise laissera des traces, dans l’esprit des gens, dans notre économie, dans la vision de nos priorités.

Mais j’espère de tout cœur qu’elle nous permettra de repenser certains aspects dans le respect de nos semblables, de notre nature, de notre planète. Et que l’économie réelle, celle des hommes et des femmes, celle qui est la richesse de nos pays, dépassera celle de la cupidité, de la finance et des profits à court terme.

 

Stéphane KAISER

KWSA SA Architectes HES-SIA

Président de la Commission Infrastructures de la Chambre d'économie publique du Jura bernois



Qu’en retiendrons-nous ?

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